Manque de sommeil : à l’adolescence, comment remettre les pendules à l’heure ?
Parce qu’ils sont obligés de se réveiller tôt les jours de classe, les adolescents sont souvent tentés de se lever très tardivement quand ils n’ont pas cours, le week-end ou pendant les vacances, et pensent ainsi rattraper leur dette de sommeil. Est-ce vraiment le cas, ou s’agit-il d’une illusion ?
En réalité, on ne peut pas compenser un manque de sommeil d’une heure à quatre heures par nuit du lundi au vendredi par une ou deux « grasses matinées », d’autant que, dans beaucoup de cas, si l’adolescent se lève tard, c’est qu’il s’est couché tard la veille.
En retardant ainsi l’heure de se lever, plutôt que de gagner un temps de repos, il déplace simplement sa phase de sommeil sur le matin. On parle de « décalage de phase » (ou retard de phase). C’est un phénomène très courant à l’adolescence, qui crée une sorte de cercle vicieux : les levers tardifs accentuent les difficultés d’endormissement, qui aggravent en boucle le retard de phase.
Horloge biologique
Lorsque l’adolescent décale sa phase de sommeil sur le matin, il n’est plus en phase avec le rythme jour-nuit. Or, le sommeil de nuit n’a pas la même qualité que le sommeil de jour, tous les travailleurs de nuit vous le diront.
La chronobiologie, qui étudie la temporalité de toutes nos fonctions biologiques, montre que certaines fonctions ont un fonctionnement optimal la nuit, et d’autres le jour. Notre horloge centrale interne, nichée au sein de notre cerveau, dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus, les contrôle, directement ou indirectement.
Pour que leur développement soit harmonieux, il est nécessaire de synchroniser le rythme de notre horloge biologique centrale sur le rythme jour-nuit. Parce que le rythme circadien de cette horloge interne tourne comme son nom l’indique sur plus ou moins 24h, il est nécessaire de le synchroniser quotidiennement avec le rythme de 24h pile de notre montre.
Pour remettre ces pendules à l’heure, deux signaux en priorité, que l’on appelle « donneurs de temps » ou synchroniseurs, vont informer le système circadien de notre cerveau : la lumière et l’obscurité. La sécrétion de la mélatonine signale l’obscurité.
Cette hormone est libérée dans les périodes d’obscurité par la glande pinéale, située à l’arrière de l’hypothalamus. Elle est inhibée par la lumière que le cerveau reçoit par la rétine. Parce qu’elle réduit le temps de latence à l’endormissement et améliore la qualité et la durée totale du sommeil, on a tendance à l’appeler l’hormone du sommeil.
Concernant la lumière, les études montrent que l’horloge biologique, chez le sujet sain, est très sensible :
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à l’exposition lumineuse peu avant le coucher et peu après le lever alors qu’elle l’est moins autour de 17h en moyenne ;
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à la lumière riche en longueurs d’onde bleues (~460-500 nm), que l’on retrouve naturellement dans les rayons du soleil mais aussi dans les diodes LED de tous les écrans numériques.
C’est cette sensibilité naturelle qui explique la synchronisation quotidienne de l’horloge dans des conditions normales, et sa non-synchronisation dans le décalage horaire, le travail de nuit ou posté, mais aussi dans le décalage de la phase de sommeil provoqué par une exposition lumineuse importante (en durée ou intensité) avant le coucher, comme c’est le cas avec l’usage des écrans.
Rythmes scolaires
Le rythme circadien est propre à chacun, il varie de quelques dizaines de minutes d’un individu à l’autre et, selon ce rythme, nous avons des individus couche-tard (on parle de « vespéralité ») ou couche-tôt (« matinalité »). Ceux qui sont du soir sont prédisposés à effectuer des retards de phase, avec des décalages qui deviennent plus grands lorsque le cycle-veille sommeil est retardé. Or les adolescents sont très souvent du soir (7 à 16 % selon les études et l’âge étudié).
En association avec les processus biologiques entrent en jeu à l’adolescence des facteurs sociaux (charge de devoirs et activités périscolaires excessives, sortie, usage des écrans, heure de début d’école), environnementaux (bruit, lumière, tabac, alcool, drogue) et psychologiques (stress, anxiété, ruminations mentales, mal-être, pression scolaire). Ce sont autant de facteurs internes et externes susceptibles de mettre à mal le rythme veille-sommeil.
Certains diront que c’est l’obligation de se lever le matin qui raccourcit le temps de sommeil. Certes, lorsqu’on est libre de se lever à l’heure qui nous convient le mieux, on observe une amélioration de la qualité ainsi que de la durée du sommeil. Mais c’est bien l’obligation de se lever le matin qui évite à tous les chronotypes du soir de « tourner en roue libre », c’est-à-dire de se décaler tous les jours un peu plus en suivant le rythme circadien de notre horloge biologique centrale.
C’est le cas lorsque les heures de lever et de coucher sont très différentes entre les jours avec classe et les jours sans classe, ou entre les jours de semaine et les jours de week-end, ou entre les jours d’école et les jours de vacances. Ce phénomène s’est amplifié pendant les périodes de confinement ou de télétravail, et pendant les vacances de la Toussaint. C’est ce qu’on appelle la variabilité des phases de sommeil, source de troubles de sommeil importants.
Ainsi, aller à l’école le matin permet de synchroniser son rythme veille-sommeil sur le rythme jour-nuit mais entraîne un sommeil insuffisant. Nombreux sont ceux qui réclament depuis longtemps une entrée à l’école plus tardive. C’est ce qu’a fait par exemple la Corée du Sud. Une campagne a été lancée en 2014 pour retarder l’heure de début des cours à 9h.
La durée totale de sommeil a dans un premier temps bien augmenté, mais comme l’heure de coucher a été elle aussi retardée (les adolescents se sentent légitimes de rester plus longtemps sur leurs écrans), le temps de sommeil total est revenu au même point qu’avant le changement d’heure de début des cours, à savoir inférieur aux 9h nécessaires en moyenne à cet âge. Donner plus de temps n’a fait que déplacer la phase de sommeil.
Usage des écrans
Que ce soit le rapport du Haut conseil de la santé publique (HCSP), les enquêtes et dossiers de l’institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), ou encore les articles scientifiques telle que l’étude récente d’Yvan Touitou, tous les travaux dont on dispose montrent les effets de l’usage intensif des écrans avant le coucher sur la quantité et la qualité de sommeil, comme sur la santé mentale de l’adolescent.
Le cerveau s’habituant à rester en alerte, le sommeil est de plus en plus léger. Une heure ou plus d’écran le soir après 20h augmente le risque de ne pas se lever le matin, et le risque de se coucher à 22h ou plus tard.
Deux heures ou plus d’utilisation quotidienne du téléphone par les 15-16 ans est prédictif de l’apparition d’une insomnie deux ans plus tard, notamment lorsque cet usage a lieu juste avant le coucher, ou pire pendant la nuit (par exemple, 35 % des adolescents américains de 14-15 ans déclarent avoir été réveillés par leur téléphone au moins une fois par nuit).
L’excitation mentale et émotionnelle, combinée à la lumière bleue, retarde la sécrétion de la mélatonine et accentue le décalage de phase, d’autant plus que les ados sont plus sensibles à la lumière que les enfants et les adultes.
Il est important d’être vigilant sur l’heure du coucher, mais ce n’est pas toujours un paramètre sur lequel on peut jouer facilement. Tout un chacun peut témoigner qu’aller au lit quand on n’a pas sommeil repousse encore plus l’endormissement.
Il faut donc plutôt essayer d’agir sur l’heure de lever, en maintenant les rituels du matin (se lever même si on ne doit pas aller à l’école ou au travail), en s’activant intensément dès son réveil, et en s’aidant s’il le faut par l’exposition à une forte lumière. Les réveils simulant l’aube ou de façon plus encadrée, les séances de luminothérapie, ou encore les activités sportives en sont de bons moyens.
Christine Cannard, Docteur en Psychologie du développement, de l'enfant et de l'adolescent, ingénieur de recherche INSERM, Laboratoire de psychologie et neurocognition (LPNC, CNRS/UGA), Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.