La création de la MDA 34 vue par le Dr Robert Brès, un des fondateurs.
A la question: Pouvez vous nous aider à reconstituer l'histoire de la MDA, Il répond : "Non, c'est une histoire qui commence à peine à s'écrire; je vais plutôt vous causer de sa pré-histoire".
Et c'est parti pour un passionnant récit.
Si on a en fait rien inventé, on s'est pris à rêver de ce que pourrait être une MDA et pour ma part, je continue de rêver à ce qu'elle pourrait être encore...'' ainsi commence Robert Brès, dont certains disent qu'il est le père spirituel de la Maison des adolescents à Montpellier, ou tout au moins le chantre (ou le troubadour, le slameur) des réflexions, synthèses et projets concrets qui ont amené à sa création.
Aujourd'hui, il se dit satisfait des projets mis en place avec la Maison pour adolescents 34 pour accueillir, écouter, accompagner les jeunes, surtout parce que ça laisse toujours à désirer, parce qu'il y a donc encore du désir.
Pour lui, une maison des adolescents doit s'occuper des jeunes jetés pêle-mêle en adolescence et se préoccuper des questions compliquées liées à cette période de la vie, questions qui impliquent et concernent tout un chacun, même si sa propre adolescence est déjà bien loin, même s'il n'est pas ou n'est plus un parent d'ado. Il s'agit de relever le défi de l'adolescence et de « s’embarrasser' de la situation des ados, dans le sens de s'en préoccuper, de prendre soin, d'écouter, d'accompagner, en somme de faire face.
Robert Brès a vécu tout le processus de développement des projets de maison d'adolescents: circulaire ministérielle, cahier des charges des services de l’État... du Havre à Montpellier.
Pour lui, l'aventure a débuté en 1980, quand son chef de service en psychiatrie de l'adulte à l'hôpital de La Colombière à Montpellier, le docteur Michel Ribstein , lui propose de réfléchir à un dispositif de soin susceptible d'éviter que dérivent à l'hôpital, ce qu'il appelait les "bâtards de la psychiatrie", ceux qui n'avaient aucune filiation avec les troubles et maladies mentales savamment décrits et répertoriés. Ils étaient inscrits dans des histoires qui n'étaient pas les leurs, comme s'ils avaient fait fausse route. Il fallait donc intervenir avant que les dés soient jetés et de fait intéresser à l'adolescence et ses avatars. Il décide que sa thèse de médecine traitera des « déboires d'adolescents alcooliques ».
Robert Brès plonge alors dans un nouveau monde, inconnu professionnellement pour lui, en imaginant des interventions thérapeutiques précoces avec tout un tas d'acteurs sociaux mobilisés auprès d'adolescents. Il obtient progressivement le soutien de la municipalité de Montpellier, des associations de parents, de divers acteurs du monde associatif, d'éducateurs, juges, gendarmes...L'idée principale est de poser la question de l'adolescence et de ses expressions parfois inquiétantes comme un défi culturel, un enjeu social mobilisant l'ensemble de la cité, et non pas uniquement le champ médical et les quelques spécialistes. Et pour éviter les querelles byzantines et démobilisatrices autour du « pourquoi certains adolescents vont mal », dans les années 80 à 90, Robert Brès va volontairement aborder et traiter cette thématique adolescente à contre-pied (il excelle dans cet art) en inversant la question qui alors devient plus mobilisatrice: "Comment se fait-il que tant d'adolescents vont bien et deviennent finalement des adultes somme toute convenables? »
Partir de ce qui va bien, de ce qui marche pour l'adolescent, pour sa famille qui le connait depuis toujours mais a du mal à le reconnaitre, ses familiers qui le reconnaissent sans l'avoir connu, pour la cité qui l'accueille en son sein ...une idée novatrice peut-être consistant à repérer toutes ces occasions opérantes, ces rencontres déterminantes qui ont permis à tant d'adolescents de grandir pour le mieux et tous ces rendez-vous manqués par l'ado « qui va mal ».
Robert Brès va alors s'inviter auprès des intervenants dans le champ de l'adolescence, découvrir tout ce qui se fait déjà, apprendre les recettes éprouvées, repérer tant de talents, il va se faufiler dans les conseils communaux de prévention, les comités locaux de promotion de la santé, les établissements scolaires divers et variés, les opérations adulte-relais , l'opération Combat pour la vie, les premiers points-écoute, jouer le rôle d'assembleur, d'analyste, de rassembleur de tout ce qui existe pour le mettre en musique (on disait chantre, troubadour et slameur), en proposer une synthèse, une synergie inter-catégorielle.
Sa première question était simple : que puis je amener dans ce pot commun d'idées, sinon les histoires d'adolescents de tous ces adultes déglingués rencontrés en hôpital psychiatrique ?
La deuxième s'avère plus complexe : Comment se démouler de ce que j'ai appris, à savoir s'obstiner à chercher dans l'histoire de chacun ce qui fait qu'il soit ce qu'il est devenu, en mésestimant la part de l’aléatoire ?
Et la troisième arrive au cœur, au centre du tout : Qu'est-ce qui aurait pu se passer notamment dans l'adolescence pour que cet adulte ne soit pas ce qu'il est devenu? Comme une réflexion sur les rendez-vous manqués....
Progressivement se constituait « en creux », ce que pourrait être un lieu susceptible de permettre à tout ado de trouver un espace pour « faire son temps », déplier ce qui l'embarrasse, s’inscrire peu à peu dans sa parole et dans ce qui va devenir sa propre histoire. Un lieu d'occasions, de rendez-vous avec lui-même et ce qu'il aspire à devenir. Un lieu où l'adolescent (et parfois sa famille) puisse rencontrer « des gens », des psy entre autre, qui se sachant limités dans leur compétence à tout comprendre ou tout savoir, sauront l'écouter en l'ouvrant à la parole.
C'est en faisant la somme de nos incompétences que nous pourrions être utile à l'adolescent.
L'adolescent doit devenir propriétaire de sa parole et de son histoire, ne plus être objet de la parole parentale, de propos de psy ou d'éducateur, ne plus être immergé dans des histoires qui ne sont pas ou ne sont plus les siennes.
Le 30 avril 1996, il ouvre l'Unité de Soins pour Adolescents (USA) à La Colombière à Montpellier. Ce dispositif d'accueil et de soins est vite complété par un maillage d'interlocuteurs capables de rencontrer un adolescent pour répondre à ses questions...et se mettre en question.
Dans ce lieu, l'intérêt est de s'occuper des adolescents qui vont à la fois bien et pas bien. L'accent est mis sur la liberté de l'adolescent à mettre du contenu dans le contenant qui lui est proposé, loin de l'enfermement dans un cadre préfabriqué pour adolescents difficile (qui sont difficiles à cerner, contrôler, contraindre etc.), loin de l'enfermement dans une histoire qui n'est pas la sienne, qui le dépasse, le déborde, « l'embrouille » ou lui « prend la tête ».
Il travaille sur ce qu'il appelle « l'hémorragie interne et externe », sur ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. L'USA innove, forcément, invente des soins spécifiques pour adolescents, réinvente aussi ce qui par ailleurs se fait déjà depuis longtemps en le concoctant « à sa sauce »...et propose ainsi des soins en médiation, des soins culturels, des modes d'expression divers visant à surprendre l'ado à exposer comme « à l'insu de son plein gré » des problématiques dont il ne savait pas qu'il pourrait les dire un jour, et dont il ne savait même pas parfois qu'il pouvait y penser.
En 1996, l'équipe est constituée d'une vingtaine de professionnels, administratif, infirmier, psychologue, médecin, assistante sociale...autant d’artisans du soin, appelés à réinventer chaque fois leur métier.
Se structure les pratiques de clinique infirmière (par des entretiens)
Et ce sont plus de 2000 adolescents qui sont venus à l'USA en 18 ans, devenue Unité de Soins Pour Grands Adolescents (USGA) en 2000 pour souligner que les ado reçus sont ceux qui s'engagent dans le devenir adulte.
Et aujourd'hui 26 % des jeunes qui sont à l'USGA viennent par la MDA, d'autres par le service des urgences, d'autres par le biais de la santé scolaire, la médecine libérale, les points-écoute...et certains par les solidarités adolescentes, les copains qui savent? pour y être venu parfois, que ce lieu est tout-à-fait fréquentable et peut être utile.
Inscrire la question de l'adolescence dans la cité
En dehors des liens hospitaliers, Robert Brès a l'idée de développer des réseaux, pour que la question de l'adolescence soit partagée et vécue ensemble. C'est le démarrage du réseau adolescence et de l'annuaire CLICOSS, qui va rassembler plus de 600 contacts, de l'hôpital, à la ville, en passant par les associations, fondations...
De 2002 à nos jours...du projet au 9 rue de la République
Robert Brès rencontre alors Joachim Cour, un jeune qui veut faire bouger la ville pour aider les adolescents. De la dynamique de cette rencontre, va naître en 2002, le Collectif pour une Maison des Adolescents (ou de l'Adolescence pour préciser qu'il ne s'agissait pas d'enfermer les ados dans un lieu, mais bien de soutenir la question de l'adolescence).
Robert Brès va développer le thème d'une maison commune entre l'hôpital et les organisations de la ville. Un premier projet, écrit par l'association de la MDA, voit le jour et rencontre un écho très favorable au niveau national.
En 2005, 2 associations se créent
la maison des adolescents de Montpellier
et Montpellier ados se présentant comme une fédération régionale (ne fédérant que"elle même!)
cette dynamique intéresse les responsables politiques locaux .
Et comme souvent, les enjeux politiques vont aussi se poser en obstacles.
Le 21 janvier 2008, l'Agence Régionale Hospitalière mandate l'association Adages et le CHRU pour concrétiser le projet d'une Maison des Adolescents sur Montpellier, pour le territoire de l'Hérault. Pour ce spécialiste de l'adolescence, même s'il refuse cette appellation, plusieurs représentations de la MDA se dégagent.
--> Une entrée en pédopsychiatrie, plus axé sur le volet soin et la consultation. Une MDA, centre de soins en fait.
La MDA est alors inscrite dans un dispositif soignant et se présente comme un complément et une aide pour le Centre Hospitalier Régional
Universitaire, en remplissant des fonctions comparables.
--> Un accompagnement psychologique et humain.
Les adolescents sont reçus, écoutés et des pistes ou réponses leur sont soumises par des équipes pluri disciplinaires, psychologue, psychiatre...C'est alors un espace d'accueil et de rencontre où il y a parfois du soin.
La MDA est alors inscrite dans la dynamique de la Cité.
L'objectif est ici de soulager cette population, en traitant les problématiques et questions des jeunes.
Comme un rêve qui se réalise...on « s’embarrasse » de la situation de l'adolescent, on se met dans une situation d'empathie attentive, on accueille l'adolescent, on lui ouvre des portes, mais c'est bien lui qui, à l'occasion et à son rythme va les franchir. Selon l'expression de Robert Brès, c'est l'idée de l'ado...badaud...qui passe et entre dans la Maison des Badauds
Sa vision de l'adolescent : c'est une création culturelle qui amènent des réponses culturelles.
Pour l'adulte selon Robert Brès : il faut être au clair avec ses limites, reconnaître que chacun ne peut apporter que des réponses partielles à l'adolescent, et c'est dans la reconnaissance de la méconnaissance que l'on a de lui que l'adolescent peux s'ouvrir à la parole (quand on lui fait croire que l'on sait tout, il n'a plus rien à dire).
Sa conception de la MDA34 : elle doit rester montpellièraine et héraultaise, inscrite dans leurs spécificités et leurs modes de fonctionnement; c'est du sur mesure avec le territoire, en phase avec la culture locale. Elle doit impliquer un ensemble de personnes au delà des seuls intervenants en MDA34, qui ont envie de se rassembler, d'échanger, de rechercher et de se qualifier davantage autour et pour l'adolescent en osant parfois toutes sortes d'innovations.
Son rêve pour l'avenir de la MDA34 :qu'elle permette aux adolescents de trouver des réponses globales et citoyennes...et que Montpellier toute entière devienne une Cité de la Jeunesse.
Un proverbe africain qu'il aime : il faut tout un village pour éduquer un enfant...Il prolonge : il faut toute une ville pour aider un adolescent à grandir.
Et, il faut toute la dynamique d'une maison pour accompagner un adolescent à la traverser...
Merci Monsieur Robert Brès de votre engagement, de votre pensée, de cette énergie créatrice et bouleversante qui a permis à la Maison des Adolescents de l'Hérault de commencer sa « vie »...